Est-ce normal d’être malheureux?

Se donner le droit d'être malheureux - Marc-André Dufour

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« Tout l’monde est malheureux tout l’temps », chantait Gilles Vigneault en 1968. Autre époque? Aujourd’hui, le bonheur est placardé partout et sous toutes les formes. Comme si on ne pouvait pas être malheureux, et encore moins sur les réseaux sociaux! Mais le bonheur non-stop, est-ce vraiment possible? Selon Marc-André Dufour, psychologue et auteur du livre Se donner le droit d’être malheureux, c’est impossible de toujours nager dans le bonheur. Viser à tout prix la bonne humeur serait même malsain!
 

Est-ce que c’est normal d’être triste?

La tristesse est un sentiment tout aussi normal que la joie ou la peur. Dès les premières pages de son livre, Marc-André Dufour écrit : « Nous souffrirons tous et, ensuite, nous mourrons tous. » Ainsi va la vie.

« On n’a pas à porter de jugement si c’est une bonne ou une mauvaise chose : le malheur fait partie de la vie », précisait-il dans une entrevue. « Quand on espère ne jamais vivre de malheur et être dans un bonheur perpétuel, c’est presque une garantie qu’on va être déçu. »

La personne ayant une vie parfaite et toujours heureuse n’existe tout simplement pas, insiste M. Dufour. « Désolé pour ceux qui y croyaient ou qui essayaient de vous le faire croire. »
 

Suis-je responsable de mon malheur?

Peu importe comment on aborde les choses, le malheur fera partie de nos vies. Se lever le matin convaincu que la journée sera parfaite ne protège pas des imprévus, des accidents ou des mauvaises nouvelles.

De plus, insiste Marc-André Dufour, la pression sociale est énorme pour être heureux, ou pour donner l’impression de l’être. Il le rappelle : « On vit dans une société qui fait l’apologie du bonheur », et ce, même si la vie est parfois désespérante.

Avec la culture populaire et les réseaux sociaux, nous sommes « constamment bombardés » par un « idéal de performance, de beauté et de succès ». Il faut s’en méfier. « Ça devient tentant, quand on ne se sent pas bien, de balayer tout ça sous le tapis pour continuer, continuer, continuer de correspondre à ces idéaux-là jusqu’à ce qu’on s’épuise. » Et c’est là que ça peut devenir problématique.

Le bonheur : une question de volonté?

On entend parfois qu’il suffit de se fabriquer son bonheur comme on se fait du sucre à la crème, mais la vie n’a rien à voir avec une recette de cuisine. « Ce n’est pas méchant comme phrase », commentait le psychologue. « Il faut essayer d’avoir un regard positif, mais ce n’est pas aussi simple que ça, parce que ça arrive dans la vie que les conditions ne soient pas rassemblées pour qu’on puisse en faire du sucre à la crème. »

Dans une autre entrevue, l’auteur allait plus loin : « Il y a des situations qui sont vraiment lourdes, dont on ne se relève pas le lendemain. » Devant de telles situations, on ne peut pas simplement se dire de regarder la vie du bon côté. Mais on peut se donner le temps de se relever.

Pourquoi souffre-t-on?

Pour Marc-André Dufour, refuser ou être incapable de ressentir la souffrance peut être plus nocif que la souffrance elle-même. « Si j’avais une douleur au pied et que j’essayais de la geler et que je marchais dessus quand même, à un moment, la blessure s’aggraverait», explique-t-il.

La souffrance psychologique, c’est comme la souffrance physique, c’est le signe que quelque chose ne va pas bien, et « il faut y porter attention pour comprendre le message ». Parfois, c’est au travail, dans nos relations personnelles, une blessure, ou parce qu’on n’est plus en phase avec nos valeurs. Pour corriger une situation, il faut comprendre la douleur et pour ça, il faut admettre son existence.
 

Comment gérer le malheur?

La première chose à faire pour se sortir de nos sentiments malheureux, c’est de les accepter. Dès les premières pages de son livre, le psychologue écrit : « Il vaut mieux accueillir les petites et les grandes vagues d’émotions douloureuses dès qu’elles sont ressenties. » Marc-André Dufour en convient, c’est plus facile à dire qu’à faire, mais se donner enfin le droit d’être malheureux lorsqu’on vit des moments difficiles permet de mieux se connaître et de mieux gérer les prochaines fois.

En parler avec un proche, avec un professionnel de la santé ou avec un intervenant aide à comprendre ce qui ne va pas. Même si on ne sait pas comment nommer le problème, essayer de le faire permet d’y arriver. « Partager nous oblige à mettre des mots sur ce qu’on vit, à le comprendre. » Parler de son malheur aide à passer à travers.

À quoi ça sert de pleurer?

« Il n’y a pas d’émotion négative, chaque émotion a sa raison d’être », croit Marc-André Dufour. « Pleurer quand c’est triste, c’est comme rire quand c’est drôle. Personne ne dit que ça ne sert à rien de rire. C’est parfaitement naturel. »

Comme le rire, pleurer peut aussi avoir un effet libérateur. Et pleurer permet de prévenir le repli sur soi. « Pour des gens, la tristesse est vue comme une vulnérabilité », explique le psychologue. Si elle est repoussée, la tristesse peut alors se transformer en irritabilité. Ce réflexe risque de nous couper des autres, puisque « ça crée l’effet inverse de ce dont les gens ont besoin : les autres s’éloignent au lieu d’offrir de l’aide et du soutien ».

Peut-on être toujours triste?

Même si Marc-André Dufour a écrit que nous avons le droit d’être malheureux, cela ne signifie pas qu’être continuellement malheureux soit sain.

En fait, le danger, selon lui, est de se réfugier dans une seule émotion. Car être toujours dans la tristesse ou toujours dans l’allégresse peut être tout aussi dangereux : « C’est une fuite. Il faut élargir notre palette émotionnelle. » Ce qu’il veut dire, c’est qu’être capable de vivre plusieurs émotions est beaucoup plus sain.

Le psychologue nuance donc un peu ce droit au malheur. « Il faut se donner le droit d’être malheureux, mais une personne qui est toujours dans cet état a peut-être besoin d’aide. » Et cette aide, elle existe.